Nommer l’invisible, réenchanter le monde



Avez-vous remarqué, en lisant mon dernier article, que certains mots semblaient n’exister nulle part ailleurs ? Peut-être vous êtes-vous demandé s’il s’agissait d’erreurs, de fantaisies, ou d’une simple expérimentation. Mais ces mots inventés ne sont pas là par hasard. Ils portent en eux une intention, une vision, une tentative de saisir ce qui échappe parfois aux langages existants. Car les mots ne sont pas neutres. Ils modèlent nos pensées, influencent nos perceptions, et tracent les contours du monde que nous habitons.
Pourquoi inventer des mots ?
Tout a commencé par une réflexion : chaque langue du monde ne possède pas le même registre lexical dans tous les domaines. Certaines langues disposent d’une richesse infinie pour décrire l’amour, d’autres regorgent de nuances pour parler du combat, du temps, ou encore de la nature. Et ce n’est pas anodin. Le langage structure la pensée d’un peuple. Une société dont la langue est riche en termes de tendresse et de douceur aura tendance à privilégier ces valeurs, tandis qu’une autre, dotée d’un lexique plus belliqueux, construira une vision du monde plus rude.
En me plongeant dans ces réflexions, une évidence m’est apparue : notre époque manque cruellement de douceur, de sérénité, de poésie. Tout va trop vite. Nous sommes happés par la productivité, la rentabilité, l’efficacité. Mais où sont passés les mots qui invitent à la contemplation, à l’évasion, à l’émerveillement ? Où sont les termes qui célèbrent la nature et ses infinies subtilités ?
C’est ainsi qu’est née l’envie d’ajouter cette dimension à mon travail. Comme une évidence, une extension naturelle de ma quête de lumière et d’épure. Inventer des mots, c’est tenter de nommer l’indicible. C’est offrir une voix à des sensations oubliées, à des instants suspendus.
Quand les mots transforment la société
Les philosophes des Lumières l’avaient bien compris : en forgeant de nouveaux concepts, ils ont façonné notre vision du monde. “Liberté d’expression”, “droits de l’homme”, “raison critique”… Ces notions, aujourd’hui familières, n’avaient pas d’existence avant que certains esprits n’aient l’audace de les nommer. Car nommer, c’est faire exister.
Les langues autochtones, elles aussi, regorgent de trésors linguistiques. Les Inuits possèdent plus de cinquante mots pour désigner la neige, capturant ainsi toute la diversité de ses textures et de ses états. Le japonais, avec des termes comme komorebi, désigne la lumière qui filtre à travers les feuilles des arbres. Autant de nuances qui enrichissent la perception du monde.
Mais si ces peuples possèdent un vocabulaire si précis pour parler de leur environnement, ce n’est pas un hasard. Avoir les mots pour décrire la nature, c’est aussi lui donner une place dans notre conscience. Là où nous voyons simplement de la neige, les Inuits perçoivent des variations infinies de formes, de densités, de reflets. Leur langue les rend plus sensibles à leur écosystème, plus connectés à leur environnement.
Alors que nous faisons face à des défis écologiques majeurs, peut-être est-il temps d’élargir notre vocabulaire pour redonner à la nature la place qu’elle mérite. Peut-être que le simple fait d’inventer des mots pour décrire la lumière sur l’eau, la danse du vent dans les arbres ou le silence d’un matin de brume peut, à sa manière, raviver notre lien avec ce qui nous entoure. Nommer, c’est reconnaître. Et reconnaître, c’est protéger.
Aujourd’hui, un besoin de nouveaux mots
Le monde manque de lenteur. Il manque d’espace pour rêver, pour ressentir pleinement, pour s’abandonner à la contemplation. Il manque de termes pour décrire ces émotions subtiles qui nous traversent et que nous peinons à exprimer avec justesse.
Si nous n’avons pas les mots pour dire ces choses-là, comment pouvons-nous les préserver ? Comment pouvons-nous leur donner une place dans nos vies ?
C’est ici que commence l’invitation à enrichir notre langue avec des mots de douceur et de lumière. À nommer l’invisible, à capturer les éclats d’instant qui, sans cela, disparaîtraient sans laisser de trace.
Et vous, quels sont les mots qui vous manquent ?
Si les mots influencent notre façon de voir le monde, alors inventons ceux dont nous avons besoin. Quels termes vous manquent pour décrire ce que vous ressentez ? Quelles sensations aimeriez-vous voir exister à travers un mot ?
Les mots et les idées peuvent changer le monde. Comme l’a dit John Keating dans Le Cercle des Poètes Disparus :
“No matter what anybody tells you, words and ideas can change the world.”
Et si nous commencions aujourd’hui ?
